Le chant des lettres

December 10, 2012

À l’occasion de la naissance de sa petite soeur, nous avions offert à Antonin deux petits cadeaux qui l’attendaient auprès de moi tous les jours lors de ses visites à la maternité ; car, à 16 mois, nous nous doutions bien qu’il ne resterait pas une heure en admiration béate devant le nouveau-né (contrairement aux adultes !), mais qu’il lui fallait quelques objets à explorer. Son papa avait donc installé une petite dînette dans la chambre d’hôpital ; quant à moi, j’avais acheté Le premier livre de bébé de Gyo Fujikawa.

Ce fut pour moi un choc que de redécouvrir cet auteur. Car lorsque j’étais enfant, ma Maman avait acheté son ABC des enfants sages à Emmaüs. La couverture manquait, mais il était, à ce détail près, en parfait état. Les illustrations et les textes avaient laissé en moi une impression profonde, comme seules peuvent en laisser les livres que l’on aime étant enfant. Qu’est devenu ce pauvre livre sans couverture ? Sans doute ma mère l’a-t-elle redonné aux Emmaüs le jour où elle pensa que nous étions devenu trop grands pour ce genre de lecture… J’espère que ses nouveaux propriétaires l’ont aimé comme je l’ai aimé, moi !

Depuis quelques mois, j’avais donc en tête de retrouver un exemplaire de ce livre. Il n’a pas été réédité en français, mais grâce aux ventes d’occasion par Internet, j’ai fini par me le procurer pour 5 euros (merci au passage à Biquette et à Lucie pour leurs tuyaux !). Et, oh ! Magie de la parentalité ! Je retrouve dans le regard d’Antonin l’émerveillement qui fut le mien il y a bien longtemps ! Il ADORE ce livre, comme s’il héritait de tout mon engouement passé !

Mais forcément, à force de fréquenter des ABCdaires, cela devait arriver : Antonin me désigne les objets représentés piour que je les lui nomme ("bateau" , "ballon" , "bébé" …) puis il me montre la grande lettre qui trône sur la page au milieu de tous ces objets disparates et attends que je lui dise ce que c’est. Ce que je fais, bien entendu. Mais je lui donne alors « le bruit » que fait la lettre en phonologie, et non son nom arbitraire (je lui "bb’" et non "bé").

Une double page retient particulièrement son attention : c’est celle sur laquelle une ribambelle d’enfants portent des pancartes représentant les lettres de l’alphabet. Il s’agit de produire le chant de toutes les lettres sans en omettre aucune, et Antonin est très attentif ! Alors c’est parti : "aa" , "bb’", "kk'"...


Si la tradition scolaire désigne les lettres par leurs noms et non par le son qu’elles produisent, c’est pour pouvoir les désigner de façon non équivoque. Effectivement, la valeur phonique d’une lettre change en fonction de sa place dans le mot (le « S » fait toujours [s] en début de mot, mais bien souvent [z] en milieu de mot, et est généralement muet en fin de mot) mais aussi des lettres auxquelles elle est associée (le « C » fait [k] quand il est suivi d’un « a », mais [s] quand il est suivi d’un « e »). Si on choisi de donner la valeur phonique des lettres à un tout-petit quand il le demande, cela n’exclue donc pas une part d’arbitraire, au contraire ! Pour ma part, par exemple, j’ai décidé de dire [k] quand Antonin désigne le « C » car les mots commençant par « CA », « CO », « CU », « CL » ou « CR » me semblent plus nombreux et plus familiers que ceux commençant par « CE » ou « CI »… Je ne parle même pas du « CH », c’est un phonème à part entière, qu’il faudrait apprendre séparément, et qui n’a rien à voir avec les valeurs phoniques des deux lettres qui le composent !

Et d’ailleurs, le « H » ? Et bien, quand Antonin me le désigne, je lui explique que cette lettre s’appelle « ache » et qu’elle ne fait pas de bruit… Cela n’a pas l’air de le perturber plus que cela. Après tout, l’escargot et la tortue de ses imagiers n’ont pas de cri, cela ne l’a jamais gêné !  ;-)

Nous en sommes donc là. Mon objectif n’est pas, bien sûr, que le Damoiseau mémorise ces sons, et d’ailleurs je serai bien embarrassée s’il fallait décrire ce qu’il comprend vraiment de tout cela. Mais il me pose une question, j’essaie de lui répondre, et du plus honnêtement que je peux en tentant de rester pas trop loin de sa portée. Cela fera son chemin, ou ne le fera pas.

L’autre jour, je passe devant la porte entrouverte de la chambre d’Antonin et je l’entend proférér des bruits bizarres… Je jette un oeil… Il était penché sur son ABCdaire et le lisait : « SSSS ! » s’exclamait-il joyeusement… en désignant un mangifique « F » !

J’ai beaucoup ri. Et je me suis souvenu de cet article, relatant une anecdote similaire chez un enfant plus grand, qui m’avait beaucoup fait rire aussi ! :-D

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